Les chercheurs du BIAM viennent de démontrer, dans le cadre d’une collaboration française1, les capacités de dépollution d’une cyanobactérie : Gloeomargarita lithophora qui capture le strontium-90, un radionucléide présent dans les effluents des centrales. Cette découverte ouvre la voie vers une bioremédiation très efficace et respectueuse de l’environnement.
Co-découverte il y a plusieurs années par l’IMPMC1 dans un stomatolite du lac Alchichica situé au Mexique, une bactérie photosynthétique est capable de minéraliser le strontium, un élément chimiquement proche du calcium. Cette particularité retient alors l’attention de Virginie Chapon, responsable de l’équipe IPM et directrice de recherche au sein du BIAM qui lance une première étude sur le sujet : cette cyanobactérie pourrait-elle minéraliser également du strontium-90 (90Sr), un radioélément présent à l’état de trace dans les effluents des centrales nucléaires ? « Au cours de cette première étude, nous avons alors pu démontrer qu’en laboratoire, Gloeomargarita lithophora piégeait le 90Sr », explique-t-elle. « En revanche, nous ignorions encore si cette bactérie était capable de résister à la radioactivité et de capturer efficacement le 90Sr dans des conditions plus proches de la réalité ».
Un organisme photosynthétique pour une décontamination biologique
Les résultats d’une nouvelle étude menée en collaboration1 avec l’I2BC, l’IMPMC et le LPCA, dans le cadre du programme FOCUSDEM du CEA, le démontrent aujourd’hui sans ambiguïté : en présence de lumière, G. lithophora capte et stabilise le 90Sr pendant au moins 20 jours, tout en survivant à la radioactivité.
Plus impressionnant encore : « Cette cyanobactérie est capable de stocker le CO₂ tout en dépolluant jusqu’à 98 %, en seulement 72 heures, un milieu simulant un effluent réel de centrale nucléaire. C’est une avancée scientifique majeure », souligne la chercheuse. Grâce en partie à l’énergie produite par le processus de la photosynthèse, la bactérie piège en effet le Sr et le transforme en chapelets de minéraux alors visibles au microscope (voir les visuels).
Des équipements à la pointe de la recherche
Ce travail illustre encore une fois toute l’importance de la recherche fondamentale dans le domaine de la dépollution : « pour développer des approches biologiques nous avons besoin d’étudier l’adaptation du vivant aux contraintes environnementales pour comprendre les mécanismes mis en œuvre, notamment ici celui de la tolérance à la radioactivité et les voies de séquestration du 90Sr. C’est une étape nécessaire avant d’envisager un passage à l’échelle industrielle » pointe-t-elle avant de souligner que « l’infrastructure unique du BIAM2 a permis l’étude de micro-organismes photosynthétiques en présence d’éléments radioactifs, condition sine qua non pour la réalisation de ces expériences. »
Perspectives
Cette étude ouvre des pistes prometteuses, tant fondamentales qu’appliquées. Les prochaines étapes permettront de mieux comprendre la tolérance de G. lithophora à la radioactivité ainsi que les mécanismes de transport et de séquestration du Sr90. G. lithophora se présente aujourd’hui comme une alternative innovante aux méthodes classiques de décontamination (précipitation chimique ou l’adsorption sur matériaux solides), offrant une alternative biologique pour l’industrie nucléaire.

Croissance et formation de granules minéraux internes chez la cyanobactérie Gloeomargarita lithophora quasi axénique.
A) Croissance de G. lithophora sur un milieu gélosé enrichi en thiosulfate, après élimination des micro-organismes contaminants. B) Image obtenue par microscopie électronique à balayage (MEB) montrant les cellules de G. lithophora. On y distingue deux types de granules à l’intérieur des cellules : de petites taches très brillantes correspondant à des carbonates de calcium, et de plus gros amas gris brillants correspondant à des réserves de polyphosphates. C) Carte chimique superposée montrant la répartition de trois éléments : le calcium (rouge), le phosphore (bleu) et le silicium (vert), mesurés par spectrométrie des rayons X. D) Image MEB de G. lithophora cultivée cette fois en présence de strontium (10 mM), un élément chimique proche du calcium. E) Carte chimique montrant où se trouve le strontium (en jaune) dans les cellules. F) Superposition des cartes chimiques du calcium (rouge), du phosphore (bleu) et du strontium (jaune), corrigée pour éliminer les interférences liées à l’émission de fond, sur l’image MEB précédente. G) Spectre moyen obtenu par l’analyse spectroscopie à dispersion d’énergie des rayons X, montrant les éléments présents dans la zone observée en D.
1 Cette étude a été réalisée en collaboration avec l’Institut de Biologie Intégrative de la Cellule – CNRS (I2BC, Saclay), l’Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de Cosmochimie UMR 7590 – Sorbonne Université/CNRS/MNHN/IRD (IMPMC, Paris) et le Laboratoire de Physique de Clermont Auvergne (LPCA, Clermont-Ferrand) et dans le cadre du programme FOCUSDEM du CEA, qui a financé notamment une thèse au sein du BIAM
2Le BIAM dispose d’un laboratoire spécifiquement équipé pour réaliser des expériences de microbiologie sur des organismes photosynthétiques en présence d’éléments radioactifs, ce qui est unique dans le paysage de la recherche française.
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