Des bactéries qui façonnent des cristaux avec du CO2

Biodiversité microbienne

Une équipe du BIAM vient de révéler la diversité des bactéries fabriquant des minéraux composés de carbonate de calcium à l’intérieur de leurs cellules. Cette découverte pourrait inspirer des solutions innovantes pour la capture du carbone ou la préservation des écosystèmes face au changement climatique, tout en nous invitant à repenser l’importance de ces processus dans les environnements naturels.

Imaginez des organismes microscopiques capables de fabriquer à l’intérieur de leur cellule, des matériaux semblables à des cristaux ou à des pierres. C’est exactement ce que font certains microorganismes, tels des artisans miniatures, par un processus appelé biominéralisation. Cette étonnante capacité à produire des minéraux ouvre des perspectives fascinantes, tant pour la recherche que pour des applications biotechnologiques ou pour lutter contre les effets du changement climatique. 

Vivant généralement dans les fonds marins, les lacs ou les sols, ces microorganismes utilisent les éléments disponibles autour d’eux : métaux, soufre, carbone ou oxygène, les transformant en minéraux solides qu’ils stockent à l’intérieur de leurs cellules, pour former une grande variété des biominéraux. Par exemple, certaines cyanobactéries (premières bactéries photosynthétiques à avoir fabriqué de l’oxygène) et protéobactéries (vaste branche du règne des bactéries) peuvent notamment former des carbonates de calcium, composés similaires à ceux que l’on trouve dans les coquilles d’huîtres.

Jusqu’à récemment, la communauté scientifique pensait que seules quelques espèces bactériennes vivant dans des habitats aquatiques spécifiques, étaient capables de produire ces minéraux solides.

Image de microscopie électronique à balayage montrant plusieurs bactéries formant des carbonates de calcium, en blanc. © karim Benzerara.

Cependant, dans un article paru dans The ISME Journal, la jeune doctoresse du BIAM nouvellement diplômée Camille Mangin et son large consortium de collaborateurs CEA, CNRS, Sorbonne Université et IPGP, montrent que cette capacité est bien plus répandue. Leur recherche met ainsi en lumière une diversité insoupçonnée de bactéries capables de réaliser ce processus fascinant.

Une découverte clé dans le lac Pavin

Caroline Monteil, coordinatrice du projet, raconte : « Le lac Pavin situé en Auvergne, est un laboratoire naturel pour le BIAM. Nous y menons des recherches régulières depuis une dizaine d’années. Par son origine volcanique, il a des propriétés physiques et géochimiques particulières qui nous intéressent pour comprendre les relations entre le fonctionnement des communautés microbiennes et leur environnement ». Il y a quelques années, les scientifiques du BIAM y avaient révélé l’existence de bactéries capables non seulement de produire des carbonates de calcium amorphes (c’est-à-dire non cristallins1), mais également des cristaux de magnétite, capables d’interagir avec les champs magnétiques terrestres. « A l’époque, nous n’avions pas encore mesuré l’ampleur de la diversité de ce groupe de bactéries et nous ne connaissions pas les mécanismes physiologiques et moléculaires en jeu » ajoute-t-elle. Depuis, les chercheurs ont approfondi leurs connaissances sur ce groupe de bactéries qui pourrait, dans le futur, être au centre du développement de méthodes de biorémédiation des radioéléments.

Révéler la diversité microbienne avec des outils avancés

Pour mieux comprendre ces processus de fabrication et pouvoir un jour s’en inspirer, la diversité des bactéries formant des minéraux a été explorée avec plusieurs outils de microbiologie environnementale, de génomique et de minéralogie avancées. « Nous avons ainsi développé ces dernières années au sein de notre institut, une expertise de pointe dans la caractérisation du vivant. Ces techniques innovantes nous permettent d’analyser les microorganismes directement dans leur environnement naturel, sans nécessiter de les cultiver en laboratoire » complète Christopher Lefèvre, responsable de l’équipe BEAMM à l’origine de la découverte. Des techniques comme la cryotomographie ou la microscopie électronique ont ainsi permis de visualiser et d’analyser en détail ces structures minérales, qui peuvent représenter jusqu’à 68 % de leur volume cellulaire.

Des implications sur notre compréhension du vivant et du fonctionnement des écosystèmes

Ces observations soulèvent de nombreuses questions, notamment sur le rôle du carbonate de calcium, au vu de sa proportion, au sein des bactéries et son impact sur les écosystèmes.

En explorant les génomes de ces microorganismes, les chercheurs du BIAM et du Génoscope ont montré que la formation de carbonate de calcium intracellulaire serait liée à la fixation du CO2 par des voies métaboliques distinctes. Cela montre que des organismes très différents génétiquement ont donc développé indépendamment des solutions similaires pour former et stocker le carbonate de calcium. « Cela indique que cette capacité est une adaptation clé dans des environnements pauvres en oxygène comme les sédiments et la colonne d’eau du lac Pavin » pointe le chercheur. 

Un nouveau puit de carbone ?

Cette découverte ouvre une nouvelle question : ces bactéries, en produisant du carbonate de calcium, jouent-elles un rôle dans le stockage du CO₂ atmosphérique à l’échelle environnementale ? Les scientifiques s’interrogent à présent sur leur capacité à agir comme des puits de carbone à long terme : « À ce stade de nos recherches, il reste à déterminer si ces bactéries agissent comme des puits naturels en capturant le CO₂ présent dans leur environnement, ou si les carbonates de calcium qu’elles produisent stockent uniquement le CO₂ issu de leur propre respiration. ». Alors que l’étude se poursuit, les scientifiques du BIAM explorent de nouvelles pistes. Une chose est certaine : ces minuscules bâtisseuses ont encore bien des secrets à révéler.

1Dans ce cas, les carbonates de calcium amorphes produits par les bactéries n’ont pas de structure cristalline ordonnée. Ils se présentent sous une forme instable et non organisée, souvent considérée comme une étape intermédiaire avant de devenir des cristaux bien définis comme la calcite ou l’aragonite. Cette propriété est intéressante car les carbonates amorphes peuvent avoir des caractéristiques chimiques et physiques différentes des formes cristallines, ce qui peut influencer leur rôle dans les processus naturels ou leur utilisation potentielle dans des applications industrielles.

Auteurs : Camille C. Mangin1, Karim Benzerara2, Marine Bergot1, Nicolas Menguy2, Béatrice Alonso1, Stéphanie Fouteau3, Raphaël Méheust3,
Daniel M. Chevrier1, Christian Godon1, Elsa Turrini1, Neha Mehta2, Arnaud Duverger2, Cynthia Travert2, Vincent Busigny4,
Elodie Duprat2, Romain Bolzoni1,2, Corinne Cruaud5, Eric Viollier6, Didier Jézéquel4,7, David Vallenet3, Christopher T. Lefèvre1,
Caroline L. Monteil1*


1Aix-Marseille Université, CNRS, CEA, BIAM, UMR7265 Institut de Biosciences and Biotechnologies d’Aix-Marseille, Cadarache research centre, F-13115
Saint-Paul-lez-Durance, France
2Sorbonne Université, Muséum National d’Histoire Naturelle, UMR CNRS 7590, Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux et de Cosmochimie (IMPMC),
4 Place Jussieu, 75005 Paris, France
3Génomique Métabolique, Genoscope, Institut François Jacob, CEA, CNRS, Univ Evry, Université Paris-Saclay, 91057 Evry, France
4Université Paris Cité, Institut de Physique du Globe de Paris, CNRS, Paris F-75005, France
5Genoscope, Institut François Jacob, CEA, CNRS, Université Évry, Université Paris-Saclay, 91057 Evry, France
6Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, LSCE–IPSL, CEA–CNRS–UVSQ–Université Paris-Saclay, 91198, Gif-sur-Yvette, France
7UMR CARRTEL, INRAE & Université Savoie Mont Blanc, Thonon-les-Bains 74200, France

*Corresponding author. Université Aix-Marseille, CNRS, CEA, UMR7265 Institut de Biosciences and Biotechnologies d’Aix-Marseille, CEA Cadarache,
Saint-Paul-lez-Durance F-13108, France. E-mail: caroline.monteil@cea.fr