Quand les cellules filles prennent leur envol : merci la kinase !

Biomasse et microalgues

Des scientifiques du BIAM ont identifié le rôle crucial d’une kinase spécifique aux plantes dans la régulation de l’éclosion des cellules filles chez les microalgues. Cette avancée permet une meilleure gestion de la dégradation de la paroi cellulaire, facilitant ainsi la libération des cellules filles et la production de biomasse.

 L’un des principaux défis dans l’utilisation des microalgues pour produire du carburant est de comprendre comment booster leur productivité en lipides : « Leur capacité à en produire dépend à la fois de la quantité de lipides déjà présente dans la cellule, mais aussi de la croissance de cette même cellule », éclaire Yonghua Li-Beisson, responsable de l’équipe EBMP et coautrice de cette découverte. « Chez les organismes unicellulaires, comme les microalgues, la croissance cellulaire est liée à son cycle de reproduction, qui se termine par une étape déterminante : l’éclosion des cellules ».

La régulation de ce processus est en effet complexe et fait intervenir différents composants cellulaires. Par exemple, les plantes et les algues, ont des types de polysaccharides différents dans leurs parois cellulaires, mais elles ont en commun une famille de molécules déterminantes, les glycoproteines1. Ces molécules, constituées de protéines et de sucres, jouent un rôle majeur dans la structure cellulaire ainsi que dans leur communication : « Pour que les processus de croissance et de différenciation des cellules se déroulent normalement, la synthèse et la dégradation de ces glycoprotéines doivent être finement contrôlées. Cependant, les mécanismes précis qui régulent la dégradation des glycoprotéines chez les plantes et les algues sont encore peu connus » poursuit la scientifique. 

Chez l’algue Chlamydomonas reinhardtii2, le cycle cellulaire recommence après l’éclosion de cellules filles, un processus régulé par certaines enzymes qui y jouent un rôle clé. Ces enzymes sont des métalloprotéinases matricielles (MMP) qui aident à dégrader la paroi cellulaire pour permettre la libération des cellules filles. 

Rôle de DYRKP1 dans la naissance des cellules : DYRKP1 induit la transcription de gènes codant pour des métalloprotéinases matricielles (MMP) connues, qui sont ensuite sécrétées et peuvent hydrolyser et dégrader la paroi cellulaire parentale, conduisant finalement à la libération des cellules filles.
Observation de l'apparition d'un palmoïde chez Chlamydomonas

« Lors d’une recherche précédente3 menée par notre institut, nos équipes avaient mis en lumière un acteur important dans ce processus : la kinase DYRKP, une enzyme spécifique aux plantes [P pour plante] », rappelle-t-elle. « Il avait alors été révélé que DYRKP contrôlait l’expression des MMP, et donc la dégradation de la paroi cellulaire. En l’absence de cette kinase, la paroi ne peut pas être correctement décomposée, piégeant ainsi les cellules filles à l’intérieur de la cellule mère » développe-t-elle. « Notre dernière étude vient de confirmer que c’est bien ce dysfonctionnement qui conduit à la formation de structures dites palmelloïdes, emprisonnant ainsi les cellules les unes dans les autres ».

Cette découverte essentielle ouvre une nouvelle voie d’amélioration de la productivité lipidique des microalgues. En effet, le contenu et la composition des cellules, notamment leur teneur en lipides, dépendent de l’activité métabolique, elle-même régulée par DYRKP. « Il faut savoir que DYRKP est une kinase spécifique aux plantes et aux algues. Nous commençons seulement à en comprendre les actions. DYRKP fait partie d’une famille plus large, nommée DYRK, que l’on retrouve aussi bien chez les levures et les plantes, mais aussi chez les bactéries et les humains », pointe Yonghua Li-Beisson.

Ces résultats sont cruciaux à la fois sur le plan fondamental et pratique : ils permettent de mieux comprendre l’éclosion des cellules, un élément clé de la morphogénèse et de la croissance cellulaire. Du point de vue de l’ingénierie des algues, ces connaissances amélioreront les techniques de récolte des microalgues, qui sont souvent coûteuses.

1  Le glycoprotéine est une molécule composée d’une protéine attachée à des chaînes de sucres. Ces molécules jouent un rôle important dans de nombreux processus biologiques, comme la communication entre les cellules, la reconnaissance des cellules ou encore la protection des cellules. On les trouve à la surface des cellules et dans les fluides corporels.

2 Chlamydomonas reinhardtii : microalgue qui sert de modèle en biologie végétale.

3 Schulz-Raffelt et al 2016 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26958078/

Références

DOI: 10.1093/plcell/koae271

DOI: 10.1093/plcell/koae263

Auteurs :
Minjae Kim1, Gabriel Lemes Jorge2, Moritz Aschern3,4, Stéphan Cuiné1, Marie Bertrand1, Malika Mekhalfi1, Jean-Luc Putaux5, Jae-Seong Yang3, Jay J. Thelen2, Fred Beisson1, Gilles Peltier1, and Yonghua Li-Beisson1

Collaboration :

1 CEA, CNRS, Aix-Marseille University, Institute of Biosciences and Biotechnologies of Aix-Marseille (BIAM), UMR7265, CEA Cadarache; Saint-Paul-lez-Durance, 13108, France

2 Division of Biochemistry and Interdisciplinary Plant Group, Christopher Bond Life Sciences Center, University of Missouri; Columbia, Missouri, 65211, USA

3 Centre for Research in Agricultural Genomics (CRAG), CSIC-IRTA-UAB-UB, Campus UAB; Cerdanyola, 08193, Spain

4 Doctoral Program of Biotechnology, Faculty of Pharmacy and Food Sciences, Universitat de Barcelona; Barcelona, 08028, Spain

5 Grenoble Alpes University, CNRS, CERMAV; Grenoble, 38000, France