Des bactéries capables de minéraliser de très grandes quantités de carbonate de soude
Dans le cadre de ses recherches sur les bactéries magnétotactiques1, une équipe de scientifiques de l’Institut de Biosciences et biotechnologies d’Aix-Marseille (BIAM) vient de découvrir une bactérie ayant la particularité de réaliser deux types de biominéralisation à l’intérieur même de sa cellule. Cette découverte est une avancée significative vers le développement de méthodes de bioremédiation des radioéléments.
C’est au cours d’une mission scientifique en 2015 au lac Pavin dans le Massif du Sancy en Auvergne que ces bactéries ont été observées pour la première fois. Situé à 1200 m d’altitude, ce lac présente un caractère très particulier de par sa géologie et sa géochimie : ses eaux sont riches en fer et c’est un lac méromictique, c’est-à-dire qu’il est chimiquement stratifié de façon permanente, présentant des zones totalement dépourvues d’oxygène. « Ces conditions particulières semblent favorables au développement de certaines bactéries magnétotactiques dans les zones de sédiments mais également dans une colonne d’eau pauvre en oxygène comprise entre 50 et 60 m de profondeur » expose Christopher Lefèvre, coordinateur de l’étude et chercheur CNRS au sein du BIAM. « Parmi l’importante diversité présente dans ce lac, des bactéries adaptées aux conditions atypiques de cet environnement s’y développent », poursuit-il. « C’est au fil de nos prélèvements, mais aussi de l’amélioration de nos méthodes d’observation, que nous avons découvert des bactéries différentes de ce que nous connaissions, de par leur morphologie, mais aussi de par leur mode de déplacement et la présence d’un double compartiment cellulaire ».
Les scientifiques ont alors pressenti l’importance de cette découverte. Cependant, pour percer leur mystère, il leur aura fallu élargir les collaborations scientifiques pour mieux s’équiper.
C’est en croisant différentes techniques de microscopie de pointe que les scientifiques ont pu révéler la nature de ces compartiments cellulaires et mis en évidence la biominéralisation microbienne réalisée par ce nouveau genre de bactéries. Appartenant à la classe des Alphaproteobacteria, « ce sont les seuls organismes unicellulaires connus, capables de biominéraliser deux types de nanostructures entourées par des membranes : des inclusions de carbonate de calcium et des cristaux de fer magnétiques » poursuit-il. Chez les animaux et les plantes, les minéraux biominéralisés ont un rôle structural ; chez les bactéries par contre, la diversité des minéraux et leurs rôles sont moins bien connus. « Cette double biominéralisation favoriserait le déplacement des bactéries dans les milieux aquatiques vers les zones optimales pour leur croissance. D’un côté, les cristaux de fer magnétiques leur permettraient de sentir le champ magnétique terrestre et d’explorer leur environnement le long des lignes de ce champ plutôt qu’en se déplaçant au hasard dans les trois dimensions, tandis que de l’autre les granules de carbonate de calcium, représentant jusqu’à deux tiers du volume de la cellule, agiraient comme des ballasts facilitant leur déplacement par gravité », commente Caroline Monteil chercheuse CEA au BIAM et première auteure de l’étude.
Pas de découverte sans équipement de pointe
Pour isoler, décrire et identifier ces bactéries, il aura fallu croiser une armada d’approches et de technologies incluant microscopie électronique à transmission et à balayage, rayonnement synchrotron, microscopie confocale, tri et isolement de cellule unique, séquençage de génome de cellule unique, analyse bio-informatique, sans oublier les batteries d’analyses géochimiques de terrain… L’aboutissement de ces études n’aurait pas été possible sans l’appui d’un réseau scientifique pluridisciplinaire, composé de plusieurs instituts incluant le BIAM ainsi que l’IMPMC2 et l’IPGP3 de Paris.
Aujourd’hui, cette découverte soulève de nombreuses questions, notamment sur les mécanismes moléculaires et biochimiques responsables de cette double biominéralisation. D’après Christopher Lefèvre « les gènes et le métabolisme associés aux processus de biominéralisation ne sont pas encore élucidés. Cependant, nous savons que cette double minéralisation permet à ces bactéries de séquestrer en grandes quantités certains éléments chimiques divers tels que le fer, le calcium ou le phosphore ». Selon le Dr Caroline Monteil, « cette capacité d’accumulation à travers la biominéralisation fait de ces bactéries des modèles très prometteurs vers le développement de biotechnologies dans le domaine de la dépollution ». En effet, le calcium biominéralisé fait partie de la même famille chimique que des radioéléments tels que le baryum et le strontium, qui sont également retrouvé dans les inclusions sous forme de traces. « Imaginez un instant que nous puissions utiliser ces bactéries pour décontaminer des environnements pollués par des radioéléments comme le strontium ou le baryum ? Ici, nous avons un modèle qui non seulement pourrait séquestrer ces polluants, mais qui en plus, permettrait leur extraction de l’environnement grâce à leurs propriétés magnétiques. » Depuis ces 2 dernières années, l’équipe a observé d’autres microorganismes dans le lac, dont les propriétés pourraient en faire de précieux alliés en biotechnologie.
Bactéries magnétotactiques : groupe de procaryotes mobiles dont la direction de mobilité est guidée par les lignes de champs magnétiques grâce à la biominéralisation de cristaux de fer magnétiques.
IMPMC, Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux et de Cosmochimie
IPGP, Institut De Physique Du Globe De Paris